Cela explique l’attitude de l’Unsa
- Arnaud
- 8 févr. 2018
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Pour Acteurs publics, Dominique Andolfatto, professeur de science politique à l’université de Bourgogne, décrypte les vives réactions syndicales suite à l’annonce par l’exécutif d’une réforme du cadre statutaire des agents publics. “Le gouvernement a fait le choix du volontarisme, estime ce spécialiste des syndicats. Il aurait pu s’y prendre autrement et donner du temps au temps pour un résultat hypothétique. Mais, comme dans le secteur privé, il a donc décidé de jouer le match.”
Sept des 9 organisations syndicales représentatives du secteur public (à l’exception de l’Unsa et de la CFDT) viennent d’appeler à une mobilisation pour le 22 mars prochain. Leurs réactions à l’égard de la politique gouvernementale sont devenues encore plus virulentes suite à l’annonce, le 1er février, d’une révision du cadre statutaire des agents publics. Comprenez-vous leur réaction et comment l’expliquez-vous ? Votre question permet déjà d’imaginer toute la difficulté du dialogue social dans notre pays : 9 organisations syndicales dans la fonction publique, sans compter de nombreuses associations liées à certains corps de fonctionnaires avec lesquelles existent aussi des discussions informelles. Dès lors, il n’est guère aisé de faire évoluer quoi que ce soit dans un tel paysage bigarré et, plus encore, dans un contexte de rigueur budgétaire. Tout changement est considéré avec suspicion et, face à une réforme un peu ambitieuse, la tactique des organisations syndicales semble être celle de la tortue, caractéristique des armées romaines avant une offensive, toujours délicate, car on ne sait jamais si la base, si les fantassins de l’administration, vont suivre les “chefs” de ces mêmes organisations. On a vu peu de succès des manifestations de l’automne dernier. Certains préfèrent donc trouver des arrangements avec la hiérarchie ou cultiver le corporatisme. D’autres, comme la CFDT, ont un représentant dans la commission chargée de la réforme de l’État, le comité Action publique 2022. Au fond, on retrouve une fracture entre des syndicats qui donnent la priorité à la discussion et d’autres qui préfèrent la démonstration de force. Cela explique l’attitude de l’Unsa qui, comme on l’a vu dans le récent mouvement des prisons, privilégie la négociation, avec obligation de résultats, à des luttes qui prennent parfois un tour quasi mystique.
La réforme du cadre statutaire de la fonction publique paraît donc compliquée à mettre en œuvre… Une réforme à froid, en tous les cas, de la fonction publique, semble impossible en France. Une sorte de culte de la réglementation, le monde clos de la haute fonction publique, l’absence de culture RH, un syndicalisme éclaté et fait de permanents constituent quelques-uns des ingrédients de cette situation. En outre, l’approche des élections professionnelles, prévues fin 2018, ne peut que pousser les syndicats à la surenchère. Dans ce contexte compliqué, il paraît difficile de trouver une bonne méthode pour réformer. Le gouvernement a fait le choix du volontarisme. Il aurait pu s’y prendre autrement. Convoquer des états généraux, par exemple, tenter d’établir des diagnostics partagés. C’était donner du temps au temps pour un résultat hypothétique. Comme dans le secteur privé, il a donc décidé de jouer le match.
“Il paraît difficile de trouver une bonne méthode pour réformer”
Ces réactions sont-elles légitimes, selon vous ? Les syndicats de fonctionnaires ont-ils raison d’avoir le sentiment d’un manque de considération de la part du gouvernement (notamment en matière de pouvoir d’achat vis-à-vis du secteur privé) ? Les fonctionnaires sont loin de constituer un bloc homogène et leurs rémunérations et progressions de carrière sont assez variables d’une administration à l’autre. Et il y a là, parfois, des choses parmi les plus secrètes de la République. On pourrait d’ailleurs espérer que la réforme apporte une véritable transparence. Il est donc difficile de parler des fonctionnaires comme d’un tout. Mais ils peuvent avoir effectivement le sentiment d’un manque de considération de la part du pouvoir et, plus souvent encore, d’un manque de reconnaissance pour le travail accompli. Et cela provient déjà des environnements de travail, notamment dans les administrations d’État, souvent problématiques. Ajoutons qu’en termes de carrières, des évolutions sont cependant intervenues ces derniers mois, avec la mise en place de nouveaux échelons dans certains corps afin que les carrières puissent continuer à se développer. La demande de reconnaissance implique aussi que de nouvelles pratiques d’évaluation ou de management se mettent en place. La gestion des ressources humaines est justement le contraire des réglementations uniformes et, parfois, des mauvaises pratiques qui prévalent. Par exemple, il est profondément anormal que certains agents contractuels, à temps partiel, ne touchent aucune rémunération avant plusieurs mois.
Le secteur de la fonction publique est-il réellement une “bombe à retardement” ? C’est en tout cas un dossier très délicat pour l’administration Macron. Parce qu’on a laissé filer les choses. Ainsi, on s’est borné à y copier en 2008-2010 les modalités de dialogue social introduites dans le secteur privé sans véritablement rendre possible ce dernier, en raison d’un statut de la fonction publique qu’il est toujours délicat et lourd de faire bouger. Parce que le gouvernement, après quelques hésitations, paraît décidé à aller vite. Parce qu’on ne voit pas encore nettement quelle administration du XXIe siècle il entend inventer. Est-ce une “bombe à retardement” ? Il est toujours très difficile de faire de la météo sociale. Personne n’avait prévu Mai 68. Une épreuve de force semble toutefois s’annoncer. Pour autant, le front syndical n’est pas unitaire. Cela dit, Force ouvrière, première organisation de la fonction publique d’État, sera sans aucun doute plus ferme que dans le privé, même si, par son attitude ouverte, le secrétaire général de FO [Jean-Claude Mailly, ndlr] avait réussi à peser sur les ordonnances Macron. Il faut tenir compte aussi d’un contexte plutôt favorable à des changements effectifs, après les tergiversations des gouvernements antérieurs, même si certains premiers signes de désenchantement sont aussi perceptibles.
“ Le pouvoir a aussi fait preuve de maladresses envers les fonctionnaires”
Pourquoi donc un tel climat de méfiance ? Cette méfiance est surtout le fait de certains syndicats qui semblent se considérer investis d’une fonction sacerdotale, c’est-à-dire ne pensent qu’en termes de défense préventive des administrations publiques. Mais le pouvoir a aussi fait preuve de maladresses. Il a fait montre d’un manque d’empathie avec les fonctionnaires, semblant implicitement les considérer comme des nantis ou comme peu flexibles, tout en hésitant sur sa politique, avant de donner un coup d’accélérateur, qui a pu paraître brutal.
Lors du comité interministériel de la transformation publique, le 1er février, le gouvernement a annoncé son intention de simplifier et de réduire le nombre des instances de dialogue social de la fonction publique, sur le modèle de la récente loi “Travail”. Le tout afin, notamment, d’accélérer les discussions en leur cadre. Les syndicats de fonctionnaires sont-ils ainsi des freins ou des moteurs de l’évolution statutaire des agents publics ? En 2008-2010, l’importante réforme sur le dialogue social dans la fonction publique [les accords de Bercy du 2 juin 2008 puis la loi du 5 juillet 2010 relative à la rénovation du dialogue social, ndlr] a déjà copié des changements intervenus dans le privé. Mais compte tenu du statut, on ne peut véritablement négocier dans la fonction publique car cela impliquerait de modifier le statut après chaque négociation. On s’en tient donc à des sortes de gentlemen’s agreements qui n’ont guère de force et permettent au mieux au gouvernement d’afficher une certaine bonne volonté dans le domaine des relations sociales. Mais cela n’a guère de conséquences au fond. L’attitude des syndicats à l’égard du statut des fonctionnaires n’est, par ailleurs, pas toujours celle que l’on croit. Par exemple, la CGT fut d’abord opposée à un statut. Elle militait pour des conventions collectives, plus souples. De même, une nette majorité des syndicats, hormis FO et la CFTC, a été favorable aux nouvelles règles, déjà évoquées, de dialogue social dans la fonction publique en 2010. La tentation actuelle de la tortue est donc loin de ne tenir qu’à des raisons de principe. Elle renvoie aussi aux conditions de travail. On craint que la réforme n’aggrave la situation. Cela dit, compte tenu du paysage syndical et des cultures qui s’y déploient, réformer avec les syndicats relève également du défi.
Propos recueillis par Bastien Scordia
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